Chronique Paris Jazz blog fevrier 2014
http://jazzaparis.canalblog.com/archives/2014/02/19/29242537.html
"... démarche qui consiste à produire une musique puissante, parlante, généreuse, en nous appuyant sur la force de la mélodie et l'énergie du swing".
C'est ainsi que Paul Wacrenier présente la musique de son 5tet. Et autant on partage son credo de début de phrase, autant on peut s'éloigner de sa fin.
Car justement, en écoutant ce très beau CD, une impression tenace s'empare de nous. C'est du free, et pour tout dire, du free des premiers jours, insouciant, déjà sûr de lui, ravageur.
Des thèmes souvent très simples, par moments acidulés, quelques notes répétées parfois, mais qui vrillent la mémoire et qui servent de tremplin aux solos, des thèmes qu'on n'hésitera pas à rejouer au cours même du morceau, à plusieurs reprise : des leïtmotives.
Des frappes rapides, très sèches (pas le balancement du swing), une basse obsédante, une énergie qui ne se dément que rarement, pour une musique qui surgit de l'urgence.
Des solos de trompette incisive (Xavier Bornens faisant claquer, éclater de courtes séquences) ou de sax torturé à l'envie (Arnaud Sacase et ses volutes tourmentées).
De larges séquences en formation de 4tet comme aux premiers temps d'Ornette, ce qui est un comble pour une formation dirigée par un pianiste. Et quand le piano joue, il est souvent percussif, oh sans être torrentiel, mais comme suspendu, l'économie des notes, des clusters, servant l'expressivité.
Et surtout, une musique d'une fraîcheur vivifiante, sans complexe.
Et sitôt formulée, cette impression s'épuise. D'abord les chants ne sont pas tous free. Il y a bien la couleur du free, mais la musique du quintette déborde largement. Quelques références aussi à cette belle épopée du jazz (peut-être même y a -t-il un zeste de Gorge Russel), quelques citations (the good life) et même, me semble-t-il, un écho à la contrebasse d'une ligne de pop (Rolling Stones ?). Ecoutes brouillées, probablement.
Faut-il citer des titres ? Evoquons alors la série des "Run" (un titre qui dit les choses), en particulier le Run2 suivi du Run1 (c'est comme ça), en continuité : des phrases à la trompette comme hachées, un soufle au sax qui s'étrangle parfois, un solo de batterie très enlevé qui se termine en une transcription rythmique du thème avant que de laisser quelques notes au vibraphone apporter un début d'apaisement. Une fin en forme de solo de contrebasse. Ils savent jouer collectif.
Enfin, Geyser/Odd Sea, morceau le plus long du CD, donne à entendre un chant bouleversant au sax alto, tout de vibrato sans pathos, et presqu'à la fin, un long silence, puis un solo au piano du leader, Paul Wacrenier, manière de nous épingler là.
"Music to run and shout", un titre de CD très justifié, même si les cris sont plutôt retenus. Une musique qui séduit, originale, créative et sans esbrouffe, un CD hautement recommandable et un groupe à découvrir si possible sur scène....
Guy Sitruk